L’Ethiopie chrétienne, mystique Abyssinie des hauts plateaux

février 21, 2018
Voyages

Par Gérard Blanc | Je Pars ..

Dans le seul périmètre de l’ancienne Abyssinie délimité par Makale, Gheralta, Adigrat, Debré Damo, Axoum et Lalibela, des trésors d’art religieux, de vestiges néolithiques, de paysages géologiques époustouflants et de traditions populaires tenaces ont de quoi enthousiasmer toute personne en quête de découvertes inédites. Ne tardons pas trop, car les nombreux articles de presse et les émissions télévisées aidant, cela commence à se savoir.

Pour éviter de nous perdre dans un pays deux fois grand comme la France, nous allons nous borner à la région nord des hauts-plateaux, celle du Tigré. Elle renferme à elle seule un nombre infini de sites, dont la sélection ne peut être qu’arbitraire. Mais partons plutôt à la découverte de ceux qui ont été de nombreuses fois cités pour être, selon notre vision occidentale, ceux qui méritent la priorité parmi des milliers, dont beaucoup se découvrent encore chaque jour.

Une chrétienté à l’orientale

L’Ethiopie est à l’origine même de l’essor du christianisme et du monachisme dans le bassin méditerranéen. Il est surprenant que ce pays ait été aussi longtemps gardé sous le boisseau, alors qu’il détiendrait au moins un quart du patrimoine chrétien du monde.
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Le christianisme à l’éthiopienne s’apparente d’assez près à celui de l’Egypte et, d’ailleurs, il est un diocèse sous l’autorité du patriarche d’Alexandrie. C’est peut-être pourquoi on l’appelle copte, bien que son culte soit plus proche de celui de l’Arménie.
Aujourd’hui, ce sont environ 45% d’une population de 88 millions d’habitants qui sont de confession chrétienne et, dans le nord, quelques régions sont à large majorité chrétienne. Certains rites chrétiens d’Ethiopie se rapprocheraient d’assez près de l’islam, comme, par exemple, la prière chrétienne diffusée par haut-parleurs à cinq heures du matin, deux carêmes de 45 jours chacun, dont l’observation stricte fait penser au ramadan, les chaussures qu’on retire avant d’entrer dans chaque église, etc. Ne nous y trompons pas, il ne s’agit ici non pas d’adaptation de la communauté chrétienne à un islam grandissant, mais l’inverse. N’oublions pas que l’islam est né après le christianisme, et il est à parier que les musulmans des premières heures se soient inspirés de règles chrétiennes de l’époque.
Il peut y avoir jusqu’à 23 fêtes célébrées par mois dont la plupart sont d’origine religieuse et se déroulent assez souvent la nuit.

De Makalé à Axoum

Au départ de la capitale Addis-Abeba, si elle fait certainement manquer une bonne partie passionnante du pays, la voie aérienne vers Makalé permet, aux Occidentaux que nous sommes, de couper court à un trajet routier long et chaotique. Mais pour tirer un bon parti de toute situation, le survol est néanmoins édifiant pour prendre conscience de la composition géologique du terrain d’origine volcanique des hauts plateaux du nord de l’Ethiopie, façonné par les érosions de l’eau et du vent donnant un paysage avec une configuration similaire à celle du Gran Canyon du Colorado, et ceci aussi loin que la vue aérienne le permet.
C’est depuis Makalé que commence la grande aventure à travers la région du Tigré pour se rendre à Axoum. Cette route fut jadis celle qu’empruntaient les caravanes de sel faisant route vers le port de Massawa (Erythrée) pour traverser la mer Rouge, ou vers l’Egypte, puis le Yémen, l’Arabie saoudite, Gaza et même, paraîtrait-il, jusqu’en Arménie. Cette même route servit aussi d’axe à bien des échanges commerciaux, religieux et migratoires.
Le parcours est une merveille de paysages avec les chaînes des montagnes de Gheralta, où apparaît à chaque virage de la piste une variété de pitons, d’aiguilles multiformes et de parois de grès rouge dominant une plaine aride en saison sèche, laquelle reprend miraculeusement des tons de verdure pendant la saison des pluies.
Abyssinie des Hauts-PlateauxC’est dans cette seule région qu’on a, pour l’instant, dénombré au bas mot 160 églises en attendant celles qui seront découvertes dans un avenir plus ou moins lointain. Au sommet de l’une de ces montagnes, auquel on accède par un chemin difforme, qu’on dit avoir été construit par le diable, perche l’étonnante église de Maryam Korkor, dans laquelle vit un ermite ravitaillé par les habitants de la plaine (personnes ayant des problèmes de respiration, de vertige ou cardiaque, s’abstenir de s’y rendre). Nul n’imaginerait trouver là cet édifice construit sous la forme d’une basilique entièrement taillée dans le roc et décorée de fresques byzantines du 13e ou 14e siècle illustrant la Genèse et la vie du Christ. L’émotion forte est au rendez-vous lorsque l’ermite vous entraîne au bord de la falaise d’environ 500 mètres de hauteur (sans parapet!) pour visiter une petite chapelle creusée dans la roche, dans laquelle on pourrait avoir quelque peine à pénétrer tellement la porte est étroite.
Vertige mis à part, le panorama est sublime.

La route se poursuit vers Axoum avec un environnement géologique encore plus révélateur de l’influence volcanique, où on découvre parfois même des orgues basaltiques. On arrive au charmant village de Yeha avec ses maisons de pierre et, donnant sur la place centrale, un temple d’époque pré-axoumite (5e siècle avant J.C.) qui aurait connu un massacre par incendie dont on ignore la véritable origine. Dans la cour du temple se dresse un menhir, avant-goût de ce que nous allons découvrir le lendemain.

Le royaume des stèles et de l’Arche

Nous arrivons à Axoum, ancien royaume et cible de multiples invasions et de pillages à travers les âges, dont beaucoup provenaient du Soudan. On fait alors connaissance avec l’antiquité afro-moyen-orientale si mal connue. Jadis grande ville commerçante, Axoum était le point de départ de longues caravanes chargées de sel, certes, mais aussi d’esclaves, de peaux, d’or et de parfums. Elle connut un grand rayonnement entre le 5ème et le 3e siècle avant J.C., similaire à celui des civilisations grecque ou perse.Chapelle de l’Arche d’Alliance On en trouve d’ailleurs la trace sur des fresques du temple d’Hatchepsout dans la vallée des Reines (Egypte), illustrant les voyages de la grande monarque en Ethiopie.

Axoum pourrait aussi s’appeler la Sainte, pour son centre religieux, objet de pèlerinages où se croisent tous les échelons de la hiérarchie chrétienne orthodoxe. C’est là même que trône au milieu de plusieurs églises le sanctuaire dans lequel serait exposée la fameuse Arche de l’Alliance renfermant les tables de la Loi, rapportée, paraîtrait- il, de Jérusalem par l’empereur Ménélik premier, qui aurait été né de l’union de Salomon et de la reine de Saba. On trouve dans beaucoup d’églises éthiopiennes des représentations de cette arche dans les «saints-des-saints», mais, par contre, l’arche d’Axoum ne peut être vue par personne, gardée en permanence par un moine aveugle. Alors, vraie ou pas vraie? Mystère.
Mais le plus fascinant est l’enclos des incroyables stèles et obélisques dont les origines sont encore floues. Ils peuvent peser jusqu’à 500 tonnes et atteindre une hauteur de trente mètres, plantés sur un terrain truffé de caves consacrées au culte des morts.
Cette gigantesque nécropole ne serait explorée que pour sa moitié. La plus extraordinaire des stèles est couchée sur le sol, cassée en plusieurs morceaux, mais elle donne cependant une vision claire de la sculpture de ses faces, représentant des portes et des fenêtres aux simili-poutres apparentes, exemple type de l’architecture axoumite, dont on trouve la réplique dans la région de LaLibela.

La croix dans tous ses états

Bien que chrétienne, elle n’est pas pour autant la représentation du martyr du Christ. Elle est plutôt l’étendard de la vie, de la victoire de la vie sur la mort. En Ethiopie, il y a des centaines, que dis-je, des milliers de représentations diverses de la croix, et, à défaut d’y trouver le Christ crucifié, on y voit souvent des effigies de la Vierge, des saints ou simplement des héros de l’histoire éthiopienne.

La croix des églises

Lalibela fut l’empereur qui donna son nom à une ville que je vous garde pour la bonne bouche. C’est le nec plus ultra culturel de l’Ethiopie, un mélange de mystères et de splendeurs se rapportant à cette technique incroyable d’églises et de basiliques construites par excavation. Les carriers du roi Lalibela avaient travaillé d’arrache-pied pour en faire jaillir des chapelles, des églises, des basiliques et des pièces troglodytes, où des ermites se retirent encore aujourd’hui dans la contemplation, la méditation et la prière.
Voici la recette

Vous prenez une colline de tuf rouge. Vous creusez une enceinte pour en dégager un gigantesque monolithe. Vous creusez ce monolithe pour en sculpter, par l’intérieur, des salles, des nefs et des voûtes et vous obtenez une église comme on en trouve ailleurs dans le monde. A l’intérieur de l’église taillée dans la roche de Bet Maryam de Lalibela C’est ingénieux et tout simplement fabuleux! C’est ainsi qu’est née l’église de Bieta Ghiorghis, une splendeur parmi d’autres, celle dont les photos ont fait le tour du monde, et la seule ayant été taillée en forme de croix.

Il y est souvent difficile, même avec des lampes-torches, d’en distinguer clairement les décorations intérieures, les fresques et les icônes, qui sont pourtant d’autres merveilles, et qui mériteraient d’être éclairées autrement que par les installations électriques précaires, qui donnent froid dans le dos si on imagine les risques de court-circuit qui pourraient entraîner des incendies.
Pour Luigi Cantamessa, grand amoureux de l’Ethiopie et guide-conférencier, il serait imaginable que la disposition topographique de la douzaine d’églises de Lalibela ne soit pas le fruit du hasard. Celles qui ont été mises à jour pourraient représenter des points formant une grande croix éthiopienne vue d’avion, dont il manquerait une branche. Pour en être certain, il faudrait engager des fouilles supplémentaires que les moyens financiers limités du seul gouvernement éthiopien rendraient impossible, à moins, peut-être, d’une prise en charge par l’UNESCO.

Les églises à proximité immédiate sont d’autres merveilles à découvrir. Bien qu’éloignées de la Bieta Ghiorgis, elles ont été creusées selon le même principe. Il en ressort partout la même impression de mysticisme, Eglise Yemrehanna Krestostant de la part des prêtres qui en ont la garde que des ermites que l’on aperçoit, assis sur un rocher ou sortant la tête d’une excavation étroite. Leur occupation favorite est de méditer sur un verset de la bible ouverte devant eux. Le cadre est partout la roche qui laisse un sentiment insolite que nul ne peut trouver ailleurs dans le monde.
A quelques 30 kilomètres de Lalibela trône un autre véritable joyau de l’art chrétien qu’est l’église de Yemrehanna Krestos, chef d’œuvre de l’art religieux éthiopien bâti dans une grotte à ciel ouvert. Construit au 12esiècle sur l’ordre de l’empereur Yemreha qui précéda Lalibela, c’est un parfait exemple de l’architecture axoumite avec, comme pour les stèles, des fenêtres et des portes laissant apparaître de fausses poutres creusées dans le rocher. La décoration interne est simplement extraordinaire, et plus particulièrement son plafond décoré de motifs de croix.
Mais, pour qui a une excellente vue, il faut aller à quelques mètres au fond de la grotte voir un gigantesque ossuaire avec les ossements ayant appartenu aux quelques 5740 pèlerins chrétiens venus recevoir la communion du saint roi Yemrehanna.

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