Les monts Simien, un patrimoine ressuscité
« Tu ne peux pas en croire tes yeux, sourit Seifu Dessalegn. Quand tu prends des photos, tu ne retrouves pas ce que tu vois sur ton appareil. » Le manager du Simien Lodge a beau travailler au sein du parc national des monts Simien, dans le nord de l’Éthiopie, il ne se lasse pas de la vue spectaculaire qu’il a sur ces montagnes façonnées par l’érosion. De quoi s’agit-il ? Dominées par le Ras Dashan, le plus haut sommet de l’Éthiopie qui culmine à 4 600 mètres d’altitude, elles sont majestueuses. Des espèces uniques y ont trouvé refuge comme le Walya ibex (le bouquetin d’Abyssinie), les singes Gélada et plus de 130 espèces d’oiseaux. « Ils préfèrent ce lieu à cause de son terrain, pour se protéger des prédateurs », explique Seifu Dessalegn.
Le premier site naturel africain inscrit au patrimoine de l’Unesco
En 1978, les monts Simien figurent parmi les douze premiers sites inscrits au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Le premier site naturel en Afrique. Mais vingt ans plus tard, les experts s’alarment des dégâts causés par l’homme sur la faune et la flore. En 1993, on n’y compte plus que deux cents Walya ibex, une espèce en voie d’extinction. « La menace principale est la pression exercée par le pâturage des troupeaux possédés par les communautés qui vivent à la limite du parc national et qui n’ont pas assez de terres et donc utilisent celles du parc », analyse Alistair Pole de la fondation partenaire African Wildlife. « Nous avons aussi des communautés qui vivent à l’intérieur du parc et cultivent la terre », ajoute-t-il. Il faut dire que, dans les années 1990, l’Éthiopie sort également de plusieurs années de guerre civile durant lesquelles les monts Simien, aux mains des opposants au régime de Mengistu (1974-1991), ont été le théâtre de combats. Face à la dégradation des paysages, l’Unesco décide en 1996 d’ajouter le parc national sur la liste du patrimoine mondial en péril. Aujourd’hui, 54 sites sont inscrits sur cette liste, dont 15 en Afrique subsaharienne.
Les monts inscrits au patrimoine en péril
Les monts Simien, eux, n’en font désormais plus partie. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture a acté ce retrait cet été. Selon les dernières estimations, on compterait actuellement plus d’un millier de Walya ibex et près de 26 000 singes Gélada au sein du parc national, même si le loup d’Abyssinie reste encore très menacé, principalement par les maladies transmises par les chiens domestiques. « Pour maintenir le parc en dehors de cette liste, nous avons besoin d’encore plus d’efforts, prévient Yumiko Yokozeki, représentante de l’Unesco en Éthiopie, pas seulement du gouvernement, mais aussi de la population et de la communauté internationale. » La population locale, souvent pointée du doigt, vit principalement de l’agriculture, considérée comme une menace pour la préservation des espèces. « Le discours de la dégradation a beau relever largement du mythe, il continue d’orienter les politiques environnementales éthiopiennes, écrit le chercheur Guillaume Blanc, dans la revue Histoire, depuis plus d’un demi-siècle, des institutions internationales n’ont cessé de prescrire le “déplacement volontaire” des populations. » L’année dernière, 212 foyers qui vivaient dans le village de Gich ont ainsi été déplacés, les maisons rasées. Quelque deux cents autres ont perdu le droit d’exploiter leur terre dans cette portion du parc. « Ça a été un très long processus pour les convaincre de déménager », reconnaît Astrid Wein, directrice de la coopération autrichienne, partenaire du projet de déplacement. Leur réinstallation à Debark, une ville aux abords du site, a été financée. Cependant, ces villageois, attachés à leurs terres, ont dû s’adapter à une nouvelle vie, parfois un nouvel emploi. Des formations en maçonnerie, charpenterie, broderie, boulangerie, apiculture, tissage, leur ont été proposées.
Les monts Simien désormais sortis d’affaire ?
En octobre 2017, au moment de célébrer la décision de l’Unesco, 4 500 foyers vivent toujours au sein du parc national des monts Simien. La route principale, qui traverse le site, reste très fréquentée. Mais la vitesse y a été limitée à 30 kilomètres/heure, et une nouvelle voie de contournement est en construction. Par ailleurs, la surface interdite au pâturage est passée de 37 à 70 % du total du parc. Au-delà de la reconnaissance internationale, le gouvernement éthiopien espère attirer encore plus de touristes. Près de 25 000 personnes, selon les autorités, sillonneraient les lieux chaque année, beaucoup moins qu’à Lalibela, connue pour ses églises enterrées et inscrite elle aussi en 1978 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. « La demande existe. Le problème, ce sont les hébergements de standards internationaux », affirme un des responsables de l’autorité éthiopienne de conservation de la nature. Le parc des monts Simien ne comprend que deux « lodges » pour le moment. De quoi comprendre le chantier prioritaire des prochaines années.